Une « interview impossible », comme au début des années 70 à la radio italienne, à père Giussani déjà auprès de l’Éternel : voila un livre d’une rigueur absolue de 150 citations paraphrasées, une au moins pour chaque réponse de pleine actualité.

Je n’en perdais pas une : tous les jours, à 14 heures, pendant une trentaine de minutes, j’écoutais coûte que coûte à la radio nationale en Italie une « Interview impossible », où des grands auteurs contemporains interrogeant des fameux personnages de l’histoire. Même au travail, je prolongeais la pause de midi : je récupérais juste avant ou bien le soir. J’ai utilisé la même méthode d’écriture pour interroger virtuellement, il y a une douzaine d’années, dans le site web de mon agence de communication multilingue (www.eurologos.com), les trois personnages éternels et proto-professionnels des activités de mon entreprise. En les faisant rencontrer, malgré les millénaires qui les séparaient, sur des sujets principalement entrepreneuriaux (la rédaction traductive, l’impression d‘édition et Internet…). Il s’agissait et il s’agit de pas moins que trois génies : saint Jérôme, traducteur entre-autres immortel de la Bible, de l’hébreu et du grec vers le latin vulgaire (la Vulgate) ; Johannes Gutenberg, inventeur plus de mille ans après de la presse dont le premier ouvrage a été la reproduction de la même Bible en allemand ; et Tim Berners-Lee, célébré comme père d’Internet déjà dans les années 80 et anobli par la reine de Grand Bretagne.
Lorsqu’on vit dans l’univers des esprits de l’histoire, l’authentique exigence est toujours de les « actualiser » afin de le situer – toujours en protagonistes – dans les problèmes à résoudre de notre vie contemporaine. De même, combien de fois on a entendu, dans les derniers années la question « quoi aurait-il dit ou fait le grand religieux père Giussani » ? Les génies qui ont marqué leur époque avec leur travail et les résultats de leurs recherches alacrement laborieuses, en grâce de Dieu, continuent à vivre dans l’existence spirituelle de tout homme pourvu d’hauteur vitale intemporelle. C’est en effet le cas de père Giussani, fondateur de Communion et Libération, mouvement catholique présent dans le monde entier, en voie de canonisation. Le manque cruel de sa présence parmi nous, après sa mort en 2005, dans le contexte culturel et spirituel de notre ère si complexe et sujette aux multiples attaques – toujours plus dévastateurs – des nihilistes relativistes, est perçu sans compensation. Sa prodigieuse lucidité de sapience anthropologique et théologique, qui l’a amené à être jugé le plus grand éducateur au monde du vingtième siècle, a porté deux de ses disciples à écrire un livre où ils ont interviewé virtuellement le génie religieux sur toute la panoplie de nos problèmes les plus actuels.

Gianfranco Amato et Gabriele Mangiarotti, déjà ses fidèles depuis les années 70, ont ainsi écrit Per l’umano e per l’eterno  (Il dialogo con don Giussani continua, Edizioni Ares, Milano, 2016) : un livre d’une densité extrême malgré sa facilité dialogique structurée en question-réponse. Plus de 150 questions sur l’homme et les sociétés de nos jours à la lumière de la Doctrine théologique et sociale de l’Église. Mais surtout d’après l’immense charisme de ce grand prêtre devenus un véritable point de repère admiratif pour au moins trois papes : sain Paul VI, saint Jean-Paul II et  Benoît XVI. La toile de fond qu’on devine et on peut lire en transparence tout au long des ces 120 pages, est l’accusation largement publique, mais expressément non explicitée nommément dans le livre, de la véritable « trahison » de son charisme et de sa ligne ecclésiologique adoptées de facto par son mouvement Communion et Libération après sa mort.
Malgré l’amour pour la Vérité et leur parler franc « oui, oui – non, non » de deux auteurs, toute la polémique à l’intérieur de l’Église ne peut être que miséricordieusement amoindrie et dépersonnalisée ! Cependant, les propos utilisés – aussi bien dans les questions que dans les réponses – ne peuvent être plus claires, pertinentes et radicales. D’autant plus que tout affirmation est documentée par pas moins de 157 notes bibliographiques précises et probantes d’argumentations aussi bien des contenus que de contextes historiques. En lisant tout au long de l’interview, tous ceux qui ont bien connu la voix rauque et l’élocution ferme (propre du style naturel giussanien), ou qui ont écouté ses nombreux enregistrements, auront eu l’impression d’entendre aussi son timbre et sa passion bien expressifs de sa foi  fournie d’une culture dialectique incomparable. Le Leitmotiv de l’interview virtuelle est la globalité et la totalité de son christianisme  rigoureusement christocentrique. Le modernisme et le spiritualisme d’une certaine Église (dont partiellement la dernière CL) en prennent pour tout leur grade. L’idée de chercher le consensus facile et superficiel de notre monde est détruit à chaque paragraphe. Ainsi que la tentative de couvrir cette opération assez minable avec la recherche d’une soi-disant profondeur qui ne serait pas possible si manifestée publiquement. La miséricorde dont pape François a ouvert l’année sainte, notamment pour père Giussani, se fonde sur la vérité évangélique et sur la distinction classique entre péché et pécheurs : éreintement sans hésitation pour le premier et compréhension paternelle pour les seconds.

Mais surtout, c’est la fusion de la dimension profonde et intime avec celle solaire et publique que père Giussani, incomparable polémiste contre toute tendance laïciste, a mis en valeur avec des citations même plus d’il y a cinquante ans. Elles ont accompagné les premières luttes publiques de CL dans le conteste déjà fort laïciste de l’époque : je m’en souviens très bien car c’était pour moi la première manifestation non syndicale (en usine). Je fréquentais l’école technique du soir et tout le monde parlait du conflit devenu même national dit de la « Zanzara » (le Moustique). C’était 1966 et CL était comme d’habitude en première ligne. Toute seule, car les associations catholiques, et non seulement, s’étaient cachées en laissant champ libre aux marxistes et au relativistes (comme majoritairement  et exagérément de notre époque). Père Giussani avec ses jeunes militants a soutenu la lutte radicalement culturelle et religieuse en totale solitude. Un cas analogue est en train de se dérouler actuellement, avec en plus la dimension internationale et  le déchainement de toutes les forces nihilistes dites gender en supplément de celles entretemps conquises à la cause résignée, même si leur appartenance culturelle aurait dû en principe l’exclure. Pour synthétiser, il s’agit des manifestations contre les projets criminels de loi équivalant le soi-disant mariage homosexuel à celui chrétien entre homme et femme ! Et bien, Communion et Libération a réussi la performance de se dissocier de ces deux manifestations historiques pour des raisons que personne a vraiment compris. En effet les dirigeants du mouvement ont apporté des motivations cléricales et plutôt fumeuses concernant l’argument fictif selon lequel la manifestation de lutte publique se positionnerait « en opposition d’exclusivité à la profondeur de la réflexion que le catholique doit s’imposer »… Comme s’il y avait contradiction entre les deux dimensions : l’intime et privé face au témoignage public !
Le jugement de père Giussani est par contre univoque : « Il ne faut pas avoir peur du pouvoir mais des gents qui dorment et qui, donc, permettent au pouvoir de faire d’eux ce qu’il veut »! (à la page 105 du livre).

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