Le minimalisme littéraire entre nihilisme et réductionnisme

Le plus sidéral des silences assourdissants de la société du spectacle

Une des formes littéraires dans lesquelles le nihilisme se reproduit dans notre temps, sans conscience et sans vergogne, est le minimalisme.
Raymond Carver, le nouvelliste américain mort el 1988, était considéré un peu le roi du minimalisme, non seulement dans la narrative nord-américaine. Mais, à l’enseigne de la méthode catholique giussanienne (Luigi Giussani, fondateur de Communion et Libération, en voie de béatification à Milan) où la préoccupation constante de se mettre en rapport « incarnée » avec la réalité, toute la réalité, donc avec le Mystère de l’invisible bien perceptible, Carver aussi arriva à sortir de son minimalisme originaire. Ceci s’est produit surtout pendant sa maladie mortelle où sa vie s’approchait de l’éternité commune à tout homme. Lui-même put sortir de la « chosité », de la réification de ses descriptions objectivistes et neutralistes, comme la recherche de la totalité interlocutoire dans le cœur humain. Même le cœur réifié bat implacablement.

Habituellement on a tendance à considérer le nihilisme dans sa forme minimaliste littéraire à la mesure de la longueur des articles ou du nombre de pages des livres : la grosse brique de plus de 500 pages « contenant » de soi disant trésors de profondeur sapientale ; et, par contre, la petite et courte nouvelle présentant systématiquement un récit superficiel et nihiliste. Un jugement, donc, quantitatif, au kilo.
Il suffit, par contre, de lire les nouvelles plein de sens et de destin de la divine Flannery O’Connor pour se rendre compte que le nihilisme minimaliste peut s’étaler également pour des centaines et centaines de pages. Carver lui-même était arrivé à affirmer qu’une certaine description, apparemment aseptique et factuelle des choses, pouvait toucher l’homme d’une manière on ne peut plus radicale et intime…

C’est quoi alors vraiment le nihilisme minimaliste ? En synthèse c’est la description de l’homme réifié et de ses relations chosifiées. En d’autres termes, c’est l’homme coïncidant avec les choses, exclusivement avec ses choses.
Il s’agit de la narration jamais finie de l’homme spirituellement orphelin, patron de lui-même jusqu’à réitérer sa parfaite et satisfaite autonomie aussi bien par rapport à la tradition qu’à un possible Créateur. Et ceci, malgré la reconnaissance d’être un jour imprevisiblement né, et dans une autre date où il sera amené dans une caisse pour être enterré définitivement. Le nihilisme, fatalement, amène toujours à l’individualisme narcissique de l’athéiste désespéré et moderniste. À la banalité généralement aplatie des choses, des innombrables choses, inévitablement plus ou moins désirées et possédées, correspond en littérature la superficialité idéologique qui réduit la réalité à la mesure de ce que l’homme réifié est à peine capable de comprendre et maîtriser, avec sa petitesse existentielle.

Inévitablement, cela implique de se livrer souvent à un relativisme pratiquement automatique : chaque individu devient ainsi protagoniste, mais éperdu, d’une vie conçue non répétable (toutes les vies le sont, d’ailleurs). Mais également incommunicables, productrice de sa propre « vérité » extrêmement réduite. La catégorie de la vérité n’existe ainsi plus dans cette inflation infinie de petites vérités subjectives, qui ne se définissent que comme disparition sans espoir du sens. Aussi bien sur le plan personnel qu’historique. Le minimalisme réductif est ainsi devenu la forme littéraire du nihilisme qui affirme, sans trop le dire, que la vie n’a pas de sens ni de but. Et qu’il est parfaitement inutile de les chercher. La tragédie est que cette conception dégradée, raccourcie et laminée de l’existence, en deux adjectifs réduite et inadéquate, a envahi non seulement la littérature, mais la totalité des aspects existentiels. En les banalisant. Implicitement, comme le diabolique a toujours préféré, dans le plus sidéral des silences assourdissants. Celui du grand bruit de la société du spectacle ou du spectacle de la société.

Laisser un commentaire