Deux livres lus dans un laps de plus de quarante ans, c’est-à-dire les commentaires religieux sur Don Quichotte et sur Pinocchio, sont ceux qui m’ont le plus formé. Miguel de Unamuno et le cardinal Biffi ont réussi en deux chefs d’œuvres absolus, même dans leur projet salvifique de l’humanité.

Je viens de terminer de lire, du sublime cardinal italien Biffi, le merveilleux livre « Contro maestro Ciliegia » Commento teologico a « Le avventure di Pinocchio » ( « Contre maître Cerise » Commentaire théologique autour des « Aventures de Pinocchio »), l’universel best seller de l’écrivain visionnaire toscan Collodi. Il s’agit d’un véritable traité pratique de théologie situé à partir d’une histoire connue mondialement, non seulement par les plus petits pour les merveilleuses aventures du fameux pantins, mais, il va de soi, aussi par la quasi-totalité des adultes à cause d’obscurs motivations même populaires. Ceux-ci tiennent, comme le dit l’auteur réellement très religieux du livre, « à la mémoire de tous et au sens de la vie, de toute l’existence ». J’ai ainsi découvert la raison profonde du succès planétaire de l’histoire du pantin vivant en bois en me rappelant de la lecture analogue que j’ai eu la chance de faire, au debut des années 70, alors que j’ai trouvé le livre de l’immense écrivain espagnol Miguel Unamuno : La Vie de Don Quichotte et de Sancho Pança. Je l’avais trouvé dans une vieille édition italienne de la BUR que j’avais dévoré en deux jours.
L’analogie entre les deux livres, qui constituent peut-être les deux fondamentaux dans ma formation spirituelle et intellectuelle depuis plus de quarante ans, consiste dans le fait qu’il s’agit de deux très grands auteurs qui ont écrit ce que leur plus haute vision du monde global pouvait produire. L’originalité de leurs deux œuvres est de s’être penchée sur des œuvres à succès universel, considérées habituellement dédiées aux enfant, « légères », superficiellement « aventureuses » et de pure « fantaisie ». En réalité, ces deux narrations très populaires munies d’une apparente extériorité et frivolité d’immagination, celle de Cervantes et celle de Collodi, appartenant ce dernier au siècle dit « stupide » après trois siècles du premier, constiuent « la racine éternelle de notre être » (comme l’écrit l’ex achêveque de Bologne, mais de formation lombarde, ambrosienne et milanaise, Giacomo Biffi). En lisant les deux livres de commentaires, on comprend comme le succès narratif international des deux chefs-d’œuvre, Don Quichotte et Pinocchio, n’est expliqué et justifié que par la prégnance et par l’universalité culturelle des deux histoires. Elles décrivent, avec des métaphores simples et sublimes, toute la complexité, même transcendante, de l’existence humaine. Au pantin espiègle et rebelle à son père putatif Geppetto, correspond l’obéissance même extrême, injustement considérée folle, de Quichotte, homme mûr et profondément savant. Les deux vies sont si captivants car elles reparcourent les méandres et les chemins directs auquel l’homme est éternellement et irréductiblement attiré.

J’avais déjà lu un bref essai sur Pinocchio du giussanien Franco Nembrini, le grand génie divulgateur de Dante dans notre temps (y compris l’influence décisive et initiale sur Benigni), « relu » à la manière de Biffi, giganteque maître sorti du même séminaire de Venegono (en Lombardie) ainsi que l’inoubliable père Luigi Giussani, actuellement en voie de canonisation. La description du pantin en bois avec vocation universelle pour devenir homme avec son retour au Père auquel, lui-même, sera fatigué de se révolter d’une façon écervelée, est absolument conforme à la narration – chapitre par chapitre en rapport au livre de référence, comme pour Unamuno à l’égard de celui de Cervantes – de la métaphore umaine transévaluée par le cardinal milanais.

Comment pouvoir mieux parler, et merveilleusement, de l’homme dit moderne qui, narcisse et faussement libre, se rebiffe à son Créateur pour se perdre dans le labyrinthe de la vie agnostique et sans sens, sinon avec le commentaire approfondi des aventures indisciplinées et désobéissantes d’un Pinocchio ?
Il était déjà arrivé au début du vingtième siècle a Miguel Unamuno, avec ses commentaires aux aventures du créateur de Dulcinée mais aux prises avec l’amour indissoluble, éternel et apparemment insensé pour la paysanne transfigurée par la passion rationnelle de Don Quichotte !
Le même concept chrétien d’amour et de relation à la Personne est à la base du rapport, littérairement extrait par le génie narratif des deux écrivains (réellement théologiens !), qui ont déjà déterminé d’une manière indélébile l’histoire culturelle européenne.
C’est ce rapport avec le Créateur, avec le Père, à partir de se reconnaître comme des créatures, évidemment crées et non autocrées, qui constitue le point crucial des deux livres de commentaires.
Ils sont très loin dans le temps et d’un point de vue culturel (Cervantes avait été aussi fait esclave par les islamistes du quinzième siècle…), et mettent au centre ce qu’est devenue l’actuelle conception de l’homme nihiliste qui dénie Dieu et sa dépendance transcendante.
Le grand retour au père de la part de Pinocchio, pour devenir homme, et l’obéissance mondainement « folle » de Don Quichotte, pour continuer à l’être, sont les leit motiv des deux livres qui en font la valeur centrale et rarissime dans l’histoire de la littérature et de la culture finalisée à sauver l’homme.
Naturellement, l’excès en est la règle constante : la sotériologie religieuse e culturelle, c’est-à-dire la préoccupation de sauver l’homme et son existence globale, ne peut pas se fonder sur des idées escomptées, médiocres et habituelles. Les principes chrétiens sont tels qu’en si fondant sur la mort de Dieu cloué sur l’infâme croix (condamnée par la foule dans la place, d’une manière politically correct, mesquine et injuste), ne peuvent être jugés fatalement foux.
Un morceau de bois transformé en pantin qui devient homme dans son rapport avec le Père, et un chevalier quichottesque qui combat contre les moulins à vent, ne peuvent être, surtout de nos jours, que inusuels et odieusement « improposables ». Et pourtant, le héro arquetypique, même dans notre modernité, reste tout de même le petit enfant hollandais qui demeure héroïquement immobile, avec son petit doigt dans le trou da la grande digue, pour éviter la catastrophe de son écroulement avec l’inondation irrémédiable du Pays.

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